BÉNIN (ROYAUME DU)

BÉNIN (ROYAUME DU)
BÉNIN (ROYAUME DU)

Quand les premiers navigateurs portugais y abordèrent, en 1472, le royaume du Bénin avait déjà atteint toute sa puissance. C’était, dans l’Afrique de l’Ouest, entre «celui de Congo et le château de Saint-Georges-de-la-Mine», le premier État important qu’ils découvraient. Aussi son nom prestigieux servira-t-il, dans la nomenclature géographique, à désigner la plus vaste région qui l’entoure: golfe de Bénin, côte de Bénin, climat béninien; les ethnologues l’utiliseront ensuite pour qualifier cette aire culturelle qui s’étend entre la vallée du Niger et celle de la Volta, et dont le royaume du Bénin ne constitue qu’une partie. Du premier État fondé à l’ouest du delta du Niger par les Edo (ou Bini), on sait fort peu de chose. Peut-être était-il limité aux environs immédiats de la capitale, comme le suggère un des rituels qui ont continué à entourer l’intronisation du roi: un combat simulé l’oppose aux chefs de villages peu éloignés. L’histoire du second royaume est mieux connue. Elle commence sans doute avec le XIIIe siècle: installation d’une nouvelle dynastie fondée par un prince yoruba que les Bini, las d’une longue période d’anarchie, étaient allés chercher à Ifé; cette dynastie durera jusqu’à la conquête britannique, dans les toutes dernières années du XIXe siècle. L’expansion du royaume du Bénin, le développement d’une brillante civilisation fécondée par les influences yoruba, en particulier dans le domaine des arts plastiques, commencent au XIVe siècle. La domination bini est à son apogée au XVIe siècle; elle s’étendra, sur des peuples conquis ou soumis à tribut, des confins de l’actuelle république du Bénin jusqu’au-delà du delta du Niger. On ignore quelle était l’importance numérique de la population ainsi contrôlée; on estimait, au début des années quatre-vingt-dix, que les Edo étaient environ quatre millions. Au-delà de ces frontières, le royaume de Bénin a exercé son influence: vers l’est, où des groupes ibos ont emprunté certaines structures de son organisation politique; vers le nord-est, où des techniques et des formes d’art ont été adoptées par les Igala.

1. La côte des Esclaves

Le royaume de Bénin fut, sur la côte de Guinée, l’un des premiers à nouer des relations diplomatiques avec une puissance européenne, le Portugal, dès la fin du XVe siècle. À la visite d’un représentant du roi de Portugal répond le voyage à Lisbonne d’un envoyé du roi de Bénin, qui en revient, selon le chroniqueur officiel, porteur de «riches présents» et de «conseils saints et catholiques». Une représentation portugaise permanente est établie à Grand-Bénin, comme on appelle alors la capitale. Une factorerie est installée au port de Gato. On accepte des missionnaires catholiques. Dans ces bonnes relations, les deux pouvoirs avaient leurs arrière-pensées. Les Portugais, tout en affirmant leur souci d’apporter aux païens la vraie foi, voulaient s’assurer un monopole commercial qui, très vite, deviendra celui de la traite des esclaves: un roi conquérant pourra les fournir en grand nombre. Le roi de Bénin voyait toute l’importance des armes nouvelles qu’apportaient les Portugais et, s’il recevait des missionnaires, c’était pour utiliser aussi les forces spirituelles des étrangers: les premiers qui vinrent, il les fit accompagner son armée dans une guerre contre les Igala. L’influence portugaise paraît s’établir solidement: des églises sont construites, des dignitaires et des membres de la famille royale sont convertis, la langue portugaise est non seulement celle des transactions commerciales, mais, pour une part, celle de la Cour. L’entreprise pourtant tournera court.

Dès le milieu du XVIe siècle, les autres puissances européennes secouent le monopole portugais. Hollandais, Anglais puis Français commercent au Bénin; au XVIIe siècle, les Portugais seront évincés de la plus grande partie des côtes ouest-africaines. L’action missionnaire sera alors abandonnée elle aussi. Des apports chrétiens, il ne restera au XVIIIe siècle que des vestiges dilués dans la religion traditionnelle, des objets cultuels et, sans doute, l’emploi, exceptionnel en Afrique, de la crucifixion comme forme de supplice.

La traite des esclaves se poursuivra jusqu’au milieu du XIXe siècle, clandestine dans les dernières années. C’est sans doute au Bénin qu’elle avait commencé; elle apparaît ici sous sa première forme, n’ayant pas encore pour destination les Amériques: les Portugais, dès la fin du XVe siècle, troquent contre du cuivre des esclaves qu’ils vont ensuite échanger contre de l’or sur la côte de l’actuel Gh na. La traite connaîtra dans cette région son plus grand développement. La région entre Volta et Niger fournira probablement la moitié de tous les esclaves africains transportés; elle sera longtemps appelée indifféremment côte de Bénin ou côte des Esclaves.

Étroitement contrôlées par le pouvoir royal qui en a le monopole, objet de minutieuses transactions pour la fixation des termes de l’échange, les relations commerciales connaîtront une crise à partir du milieu du XIXe siècle. Organisées en fonction de la traite des esclaves, elles ne pourront s’adapter à une situation nouvelle que crée sa mise hors la loi. Dans le dernier quart du siècle, devant les exigences croissantes des Européens désormais prêts aux conquêtes coloniales, exigences parées des couleurs de la morale – abolition de l’esclavage et des sacrifices humains – le roi de Bénin décide de fermer ses États aux entreprises étrangères. Mais les incidents se multiplieront et, en 1897, c’est la conquête britannique, la soumission et la déportation du roi. C’est en même temps le pillage, au profit des musées d’Europe, d’un des plus grands foyers d’art de l’Afrique.

Pendant les quatre siècles que dura la traite, de nombreuses descriptions de la capitale du Bénin avaient été publiées; seules les toutes dernières étaient méprisantes ou ironiques, la plupart disaient leur émerveillement. Ce qui avait le plus frappé les voyageurs européens, c’était l’art plastique, la profusion de beauté répandue dans la ville et surtout les palais; c’était aussi l’organisation de l’État, «le plus puissant royaume de Guinée et celui qui ressemble le plus à une monarchie européenne». L’un des derniers commerçants britanniques qui visita le Bénin indépendant parle de la «fascination extraordinaire» qu’exerce la capitale: «Personne parmi ceux qui y sont allés autrefois n’en est revenu sans avoir été impressionné.»

2. Un roi-dieu

Ce qui a d’abord impressionné, c’est le roi, «chef du monde des vivants et du monde des morts», à la fois homme et dieu, tête d’un État fortement centralisé, au moins dans sa partie la plus ancienne. Il paraissait en public, la tête, la poitrine, les bras et les chevilles couverts de lourdes filières de corail, et l’on devait le soutenir dans sa marche; il était immobile, hiératique. Il ne sortait que rarement, et cérémoniellement, de son palais. La vénération qu’on lui accordait, disait un voyageur anglais du XVIe siècle, était telle que, «si nous en donnions autant à notre Sauveur, nous écarterions de notre tête beaucoup des tourments que nous méritons tous les jours par nos offenses et notre impiété». De ce roi-dieu, on disait qu’il ne mange pas, ne boit pas, ne dort pas, et aussi qu’il ne meurt pas: son intronisation, qui est une initiation, l’a séparé des hommes. Le roi éternel, cependant, changeait d’enveloppe visible, et c’était l’occasion des rituels parmi les plus importants. Le corps du roi n’était pas enterré seul, il devait être accompagné d’une suite nombreuse, que l’on enfermait vivante dans la tombe; par la suite, des sacrifices humains qui permettaient d’envoyer au roi des messagers accroissaient cet entourage. Le nouveau souverain assurait un culte à ses ancêtres; c’est lui qui effectuait solennellement la première coulée de métal lorsque l’on fabriquait, à cire perdue, la tête de bronze représentant son prédécesseur qui serait déposée sur l’autel qui lui était consacré.

Ce roi divin n’était pas pour autant un roi absolu; il devait s’appuyer sur des corps de dignitaires dont il ne contrôlait que partiellement la nomination. L’accès au premier de ces corps, qui constituait le collège chargé de la désignation du roi avant qu’au XVIIIe siècle son rôle devînt plus formel – la succession par ordre de primogéniture ayant été instaurée – était fondé sur l’hérédité. Les deux autres étaient composés d’hommes qui détenaient les plus élevés des titres que l’on peut appeler nobiliaires, non héréditaires pour la plupart, et auxquels tout homme libre pouvait accéder, au prix de lourdes prestations et de reconnaissances de vassalité. Ces titres étaient disposés en échelles complexes dont on pouvait, avec l’agrément de ses pairs et, dans certains cas, du roi, gravir peu à peu les degrés. Les porteurs de titres étaient rassemblés en deux ordres: celui des chefs du palais, responsables de ceux qui l’habitent et des richesses qui y sont entreposées; celui des chefs de la ville, qui avaient des prérogatives administratives, militaires, rituelles. Le premier corps tout entier, les deux autres par leurs représentants les plus éminents constituaient le Conseil du roi, dont les sessions ont été décrites par plusieurs voyageurs.

3. Le palais et la ville

La distinction entre ces deux ordres correspond à une opposition essentielle, dans l’espace, entre le palais et la ville. Le palais était une ville dans la ville, où vivaient des milliers de personnes entourant et servant le roi. Chaque roi ajoutait ses propres bâtiments à ceux qu’avaient construits ses prédécesseurs; ainsi comptait-on, à la fin du XIXe siècle, trente-trois palais adjacents. Déjà, au XVIIe siècle, les constructions royales occupaient, selon O. Dapper, autant de place que la ville de Haarlem, et «ses galeries étaient aussi larges que celles de la Bourse d’Amsterdam». C’est là sans doute l’une des plus belles réalisations de l’architecture africaine. Si les bâtiments étaient d’argile crue, leur décoration était d’une étonnante splendeur. Les galeries étaient soutenues par des piliers de bois recouverts de plaques de bronze en bas relief. Les portes de bois sculpté étaient revêtues de minces feuilles de laiton modelées sur la sculpture. Les têtes et les statues de bronze s’étalaient à profusion sur les autels, dans les salles d’audience, au faîte des toitures. Les objets d’ivoire sculpté étaient aussi nombreux, depuis les serrures jusqu’aux défenses entières ouvragées, dont certaines avaient pour socle des têtes de bronze.

La ville, juxtaposée au palais, était immense; place forte, ses remparts auraient eu, au XVIIe siècle, un développement de huit lieues. Construite selon un plan quadrillé, ses rues étaient si longues qu’on n’en pouvait «voir le bout». Un voyageur hollandais du XVIe siècle remarquait que «les maisons dans cette ville se dressent en bon ordre, chacune à côté et dans l’alignement de l’autre, comme se dressent les maisons en Hollande». Ces maisons avaient une architecture remarquable; elles étaient construites autour d’une cour centrale à impluvium, où l’eau était recueillie dans une sorte de citerne et évacuée vers l’extérieur par des canalisations qui passaient sous les pièces d’habitation. L’origine d’une telle architecture, rappelant celles des pays méditerranéens, reste une énigme.

Cette civilisation tout entière ainsi que celle des Yoruba voisins font problème. Les hypothèses légères et péjoratives qui en faisaient, en particulier dans le domaine de l’art, un reflet de la civilisation européenne ont été rejetées. Mais il y avait place encore pour des suggestions peu vérifiables. La plus hardie a identifié le Bénin et les pays avoisinants à l’Atlantide mythique où, selon Platon, on trouvait palmiers et éléphants, et où les fils de Poséidon avaient bâti une forteresse revêtue de plaques de cuivre; cette Atlantide, selon L. Frobenius, aurait été coupée de la Méditerranée grecque, ce que le mythe transposa en naufrage cataclysmique. Le problème des origines reste à peu près entier.

4. Un art royal

L’art du Bénin, avant que ne soit découvert celui d’Ifé dont il dérive, est apparu comme l’un des plus remarquables de toute l’Afrique. C’était avant tout un art royal. Les objets de bronze – en fait, d’un alliage plus proche du laiton que du bronze proprement dit –, statuettes, têtes stylisées, bas-reliefs, en particulier, représentant des scènes historiques, tous fondus à cire perdue, étaient réservés à l’usage du roi, rituel ou profane. Si la technique est venue d’Ifé, il s’est développé au Bénin un style original, moins «classique», moins sobre, un style «flamboyant» selon la formule de W. Fagg. C’est cet art du bronze qui est certainement le mieux connu, et dont les étapes peuvent être le mieux datées. Dans une première période, celle du XIVe siècle surtout, les œuvres restent proches de celles d’Ifé: têtes creuses ou bas-reliefs, elles ont peu d’épaisseur et sont plus réalistes. À partir du XVIe siècle, les bas-reliefs deviennent plus nombreux, plus épais, plus divers aussi, évoquant à la fois les rites royaux, la vie quotidienne, les traitants et les soldats portugais, très précisément décrits.

Le XVIIe siècle marque l’apogée de l’art du bronze: outre les bas-reliefs, les têtes-portraits, les sièges, les statues animalières, les coffres et les cloches sont nombreux et de facture variée. Mais, dès la fin de ce siècle, la décadence se dessine, qui coïncide avec la crise de l’État née de celle de la traite des esclaves. Les siècles suivants ne donneront que des œuvres mineures, et la conquête coloniale entraînera l’effondrement d’un art étroitement lié à une organisation politique.

Comme l’art du bronze, celui de la terre cuite semble avoir été emprunté à Ifé; il a laissé beaucoup moins de traces. On comprend que la sculpture sur bois en ait laissé moins encore: la capitale du royaume de Bénin fut incendiée en 1897 lors de la conquête. Le bois, on l’a remarqué, pouvait être recouvert de feuilles de laiton, de cuivre, parfois d’argent et d’or; cette technique était connue ailleurs en Afrique, mais c’est au Bénin – et au Dahomey – qu’elle a été le plus remarquablement employée. L’ivoire était aussi travaillé d’éblouissante façon: défenses d’éléphant tout entières sculptées ou gravées, soit de motifs de vannerie ou de nattage, soit de figurines en ligne, différemment orientées, où quelques auteurs ont cru pouvoir déceler une écriture pictographique ésotérique; masques incrustés de métal; clochettes, cassettes, statuettes, bracelets, bâtons de commandement, serrures et loquets. Des styles très variés y apparaissent, d’une simplicité «romane» à une exubérance baroque, en passant par une sobriété toute classique; on les date malaisément.

À ces arts les plus prestigieux, il faut ajouter les tissages et les broderies qui, du XVIe au XVIIIe siècle, font l’objet d’exportation vers la Côte-de-l’Or et le Congo, et un grand nombre d’arts mineurs, dont la gravure sur calebasse et la sculpture sur noix de coco.

Les groupes d’artistes et d’artisans étaient sous le contrôle du roi. Certains étaient dirigés directement par un de ses délégués; d’autres par les porteurs de titres qui devaient rendre compte. Chaque quartier de la capitale avait sa spécialisation et ses obligations envers le souverain. Il y avait ainsi le quartier des forgerons, celui des fondeurs de bronze, celui des sculpteurs sur bois et sur ivoire, celui des fabricants de tambours, celui des travailleurs du cuir, celui des tisserands. Ces artisans étaient par excellence les hommes de la ville, par opposition à ceux du palais. Déjà décadente au XIXe siècle, cette organisation en quasi-corporations n’a pas survécu à la conquête européenne, et la production artistique s’est alors presque totalement arrêtée. Avant que ne reprenne, quelques dizaines d’années plus tard, un travail orienté, au-delà d’une clientèle touristique, vers des amateurs peu éclairés que des copies «vieillies» pouvaient duper.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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